Glaçant, dérangeant, mais toujours d’actualité quand il s’agit d’aborder l’ambiguïté de l’Homme face à sa propre haine de ce qu’il ne connaît pas !
La quatrième de couv :
« Au loin, les brûleurs de la distillerie resplendissaient comme des bûchers dans la nuit. »
La nuit qui habite Damien Daussen est noire comme son amertume et sa médiocrité, et rougeoyante comme sa haine à l’encontre de tout ce qui vit et cherche à grandir. C’est à une plongée dans ces ténèbres que nous convie Gabriel Báñez pour exorciser le cauchemar d’une humanité indécente, sans rédemption, sans innocence. Car il fait sombre, parmi les hommes, quand le rire des enfants ressemble au rictus des bourreaux et quand les victimes jouissent, à l’instar de leurs tortionnaires, des coups qu’on leur assène. Qui dit conscience humaine dit pouvoir et prédation, et à côté d’une telle humanité, seules les bêtes apparaissent comme des êtres sans défense.
Une fable glaçante sur le mal qui, au-delà de la cartographie mentale d’un antisémite, s’avance tout au bord du gouffre de l’histoire des dominations et des violences politiques.
Mon avis :
Il avait failli devenir curé parce qu’il pensait que « nous cherchons tous à ressembler à ce que nous craignons le plus ». Une fois ses peurs apaisées, Damien Daussen était devenu veilleur de nuit dans une faculté de Sciences. Dans son travail, ainsi que dans sa vie, rien ne semble le toucher, l’intéresser ou l’émouvoir. Il regarde la vie passer de loin, comme si cela ne le concernait pas directement. Pourtant, Daussen est de ces personnages qui mettent mal à l’aise d’emblée. Il a une violence et une haine en lui qui suinte de chacune de ces paroles et de chacun de ses actes.
La seule personne qui arrive à le sortir de sa léthargie est Rachel, une amie d’enfance retrouvée par hasard et avec qui il va nouer une relation. Mais là aussi, c’est la peur qui a toujours dominé cette relation : « J’avais peur d’elle et je la désirais. » Et c’est cette dualité qui régit presque tout l’univers de Daussen. Élevé par un activiste d’extrême droite, il est autant attiré par Rachel, la juive, qu’il en a peur. Le désir « confus et minutieux » qu’il ressent pour elle est comparé à « celui que doivent éprouver les profanateurs de tombes ». Car, dans la tête de cet homme, « le désir est la forme primaire du totalitarisme ». Ces deux-là sont attirés malgré leur répulsion réciproque. L’un dominateur, violent dans les paroles et les actes ; l’autre soumise, acceptant tout de cette relation perverse.
Le style est sobre et précis, cachant ainsi encore mieux les indices d’une violence sournoise. Se crée alors tout le long du récit un jeu avec une écriture soufflant le chaud et le froid : l’impression de saisir, pendant un instant, un peu d’humanité derrière ce personnage, aussitôt contrebalancée par une noirceur qui semble sans fond : « La musique, au contraire, ne vient jamais rien me dire et, cependant, elle me stimule. C’est une question d’épiderme, une affaire de sensualité. Récemment, j’ai lu qu’aux portes des crématoires d’Auschwitz, on jouait de la musique, du Schumann en particulier, et ce seul détail a suffit à m’émouvoir. J’ai toujours pensé, par ailleurs, que la sensualité n’est qu’un des chapitres de la violence. Il y en a d’autres. »
Glaçant, dérangeant, mais toujours d’actualité quand il s’agit d’aborder l’ambiguïté de l’Homme face à sa propre haine de ce qu’il ne connaît pas !
Extrait :
Lire les premières pages sur le site de la maison d’édition.
Détails :
Auteur : Gabriel Báñez
Editeur : La dernière goutte
Date de parution : 05/04/2012
189 pages
Cet article a également été publié sur Hexagones – L’aventure du nouveau journalisme.
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Sa propre haine ? Cela va loin !