Camille de Toledo nous interroge sur le poids de la mémoire de guerre, sur les liens familiaux et sur les fondations du monde d’après. Voyage étrange, mais ô combien intéressant lorsqu’il se passe sous la plume de cet auteur !
La quatrième de couv :
Camille de Toledo signe ici le troisième volet d’une « trilogie européenne ». Après Le Hêtre et le Bouleau, à la suite de Vies pøtentielles, Oublier, trahir, puis disparaître explore, entre conte et récit mythologique, le temps européen, à la charnière du XXe et du XXIe siècle, à l’heure où se pose la question de l’oubli et de la trahison…
Mon avis :
Lui est né dans le 20e siècle. Il porte les guerres, la déportation, la haine, la peur, la honte et toutes les atrocités de cette vieille Europe qui semble à bout de souffle dans sa bouche. Il ne comprends pas ce qu’elle est devenue, porte la culpabilité des survivants et la mort (le Semeur) n’est jamais bien loin. Son fils Elias, lui, est né au 21e siècle. Âgé d’à peine 12 ans, il accompagne son père pour un voyage en train, dont on ne connaît ni l’origine ni la destination.
«Et si j’écris maintenant le récit de notre traversée, ce n’est pas pour remplir ta vie, mais pour vider la mienne», lui dit-il. Car il n’est pas là pour lui enseigner ou lui transmettre quelque chose. Il tente avant tout de comprendre le sang versé pour rien, les luttes et tout ce qui a fait ce 20e siècle. Dans ce presque monologue, il cherche comment refermer la page sur la mélancolie, comment couper les ponts entre ces deux siècles. «Et je me rends compte aujourd’hui qu’il n’est pas étonnant de voir, ici ou là, dans beaucoup de livres de notre époque transitoire, des figures de ponts. Nous, les derniers-nés du vingtième siècle, nous avons eu la charge de relier deux époques, deux mondes qui se tournent le dos. C’est ce que je reconnais avoir voulu faire, avec entêtement, dans cet article comme dans beaucoup d’autres textes que j’ai pu écrire : construire un pont pour que coexistent deux ordres qui s’opposent et cherchent à s’exclure. Relier ce qui se renie.»
Et puis le train arrive… Et le père tente de guérir de ce poids qu’il porte comme une pénitence. Il se décide à marcher dans les pas de son fils, à laisser derrière lui ce siècle passée et s’apprête enfin à accueillir le nouveau. « Parce qu’il faut être père pour naître une seconde fois. Parce que nous n’avons jamais tant besoin de ça : une filiation, quelque chose qui nous relie au temps et à l’oubli. »
Dans ce récit, mélange de poésie et de conte, Camille de Toledo nous interroge sur le poids de la mémoire de guerre, sur les liens familiaux et sur les fondations du monde d’après. Il interroge aussi la langue, véhicule de mots épuisés, en créant une langue propre à l’enfant, une langue nouvelle pour peut-être recommencer autre chose. Voyage étrange, oui, mais ô combien intéressant lorsqu’il se passe sous la plume de Camille de Toledo !
Détails :
Auteur : Camille de Toledo
Editeur : Seuil
Date de parution : 02/01/2014
224 pages
Cet article a également été publié sur Hexagones – L’aventure du nouveau journalisme.
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Que d’interrogations, finalement, dans ce roman.
Camille de Toledo s’interroge beaucoup. Et nous pousse à en faire autant !