… mais, ne t’en fais pas, il dirait, ma mort n’est pas l’événement le plus triste de ma vie, ce qui est triste dans ma vie c’est ce monde avec des vigiles et des gens qui s’ignorent dans des vies mortes comme cette pâleur, cette mort tout le temps, tous les jours, que ça s’arrête enfin, je t’assure, ce n’est pas triste comme de perdre le goût d’embrasser, d’inventer des destins à des gens dans le métro et le goût de marcher des heures et des heures et des tas de choses que je ne ferai jamais, que je n’aurais jamais faites de toute façon mais que j’aimais tellement savoir présentes, là, à côté, au cas où, si l’idée folle m’était venue d’aller à la montagne, d’aimer nager, des trucs comme voyager et visiter des pays d’Asie – ce que d’autres lui ont dit sur la Chine et sur l’Inde, ce que d’autres lui ont dit sur des pays d’Afrique, et même, aussi, des pays pas si lointains – mais, il s’en foutait de ça, c’était de savoir qu’il aurait pu, qu’il pourrait si la vie tenait encore en lui, ce besoin de savoir que ça se tient là, tout près, que le monde n’est pas fermé et qu’on peut l’ouvrir un peu, de temps à autre, pour le regarder de plus loin, alors il te dirait, je sais bien que je fais le mort mieux que personne, mais je ne me plains pas parce que, l’amour, je l’ai fait si souvent, je l’ai rencontré si souvent, des visages et des prénoms, des voix et des mains, des odeurs, des parfums et des sexes, alors je ne me plains de rien sauf d’avoir glissé trop vite, si vite…
Ce que j’appelle oubli – Laurent Mauvignier
Cette chronique a déjà été lue 2012 fois.
Commentaires récents