Peut-être les Fleurs du mal est-il le livre le plus nombreux dans ma bibliothèque : comment vous diriez, pour écrire qu’il est présent en plusieurs éditions critiques, poche – ou ultra-poche : une version imprimée en Chine pour être vendue 2 francs –, éditions anciennes ou luxueuse (édition de l’imprimerie nationale), j’ai même accumulé diverses traductions, dont une japonaise bien déstabilisante puisque évidemment on tourne les pages en sens contraire du nôtre, que les sonnets se déplient de droite à gauche sur quatorze lignes verticales, et que l’éditeur a gardé le titre français du poème en note, avec parfois le mot obsession émergeant seul des kanji à moi inaccessibles. Baudelaire a donc bien écrit les Fleurs du mal, livre de révolte, où notre langue culmine dans une recomposition poétique inouïe.
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Et toute édition de Baudelaire inclut de plus aux Fleurs du mal des textes restés à l’état d’ébauche, comme le « projet de préface » avec ces phrases si indissociables de Baudelaire (« que la phrase poétique peut imiter (et par là elle touche à l’art musical et à la science mathématique) la ligne horizontale, la ligne droite ascendante, la ligne droite descendante ; qu’elle peut monter à pic vers le ciel, sans essoufflement, ou descendre perpendiculairement vers l’enfer avec la vélocité de toute pesanteur ; qu’elle peut suivre la spirale, décrire la parabole, ou le zigzag figurant une série d’angles superposés… »).
Et, si je regarde l’étagère de ma bibliothèque avec l’atelier Baudelaire, jouxtent aussi ses livres des biographies, un dictionnaire Baudelaire, un album iconographique, et différents essais, dont celui de Walter Benjamin – ou ce merveilleux Butor sur Un rêve de Baudelaire. La première évidence devient alors celle-ci : il n’y a pas de livre des Fleurs du mal hors le premier qui nous a permis de les lire, et la relation affective qui pour nous associera probablement à jamais le livre et la lecture – mais dès que nous sommes réellement entrés dans la lecture de Baudelaire, il n’y a plus que cette diffraction, ce nuage. L’œuvre principale de Baudelaire n’a jamais été un livre.
Après le livre – François Bon
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Quelle belle dernière phrase ! J’ai aussi plusieurs versions des Fleurs du Mal (et autres) dans ma bibliothèque mais c’est toujours le petit poche qui est pas loin, usé, feuilleté, et que je relis inlassablement les jours où Baudelaire me manque…
C’est un essai très intéressant sur cet après du livre, qui va se détacher du support, pour ne garder que l’essentiel, le contenu. Je trouvais que cet exemple était assez parlant.
C’est qu’une magie si puissante est à l’oeuvre dans ce livre qu’elle se joue, d’emblée et à toujours, des injures, des délations dévotes, voire des malédictions. Cette harmonie sulfureuse ne pouvait que fasciner l’auteur de Thank you Satan, lui-aussi longtemps en butte à la vindicte et, toutes proportions gardées, victime des mêmes bien-pensants. En se consacrant à la mise en chansons des poèmes des Fleurs du Mal, Léo Ferré n’entendait pas seulement rendre hommage ni signifier on ne sait quelle filiation, mais réactiver, pour une écoute nouvelle, quelques unes des compositions verbales de Baudelaire. Ce pari risqué, et manifestement gagné, trouve aujourd’hui une suite imprévue qui tient, pour une part, d’un effet de résurgence et, pour une autre, d’une singulière faculté d’invention et de métamorphose. À partir de mélodies laissées par Léo Ferré à l’état d’ébauches, Jean-Louis Murat s’est livré à un exercice délicat, exigeant et quasi funambule, celui qui impose d’être fidèle en toute liberté. Autrement dit de se mettre au service du double legs d’un poète et d’un musicien tout en restant soi-même, tout en donnant au mot interprétation son extension la plus vaste, la plus intense, la plus inspirée. Dans ces douze chansons, Jean-Louis Murat réinvente toute la langueur trouble, entêtante, comme intoxiquée et fatale, de l’inspiration du poète.