Robert Smith donc et ce n’était pas rien que de devenir mon idole (ce serait la seule que j’aurais jamais) même si des années après, je n’ai toujours pas compris quelle idée m’est passée par la tête et ce qu’il m’a pris que de décider que ce soir-là, cette sortie-là entre potes, je serai lui au plus proche possible, ce qui me semblait naïvement pouvoir se résumer à un costume gris anthracite sur chemise blanche, des grosses baskets sans lien et mes cheveux ébouriffés autour d’un visage maquillé (personne ne le croira mais j’avais cheveux longs alors la condition sine qua non pour que se fasse la transformation).
Qu’on s’imagine ce que c’était alors, dans la campagne d’où je suis et suis toujours resté même si je n’y suis plus au moment où je parle, là-bas, dans la vallée à la terre noire et grise et brune et grasse lourde que fendent toujours aussi difficilement les socs quand bien même maintenant ils sont lancés dans le ventre du sol par des machines inimaginables par ceux d’avant que j’ai connus, quand même, qu’on s’imagine, donc, ce que c’était que de faire ça, se laisser les cheveux pousser jusqu’au plancher au moins (on exagère un peu disons jusqu’aux épaules) et puis un soir en faire une chose ébouriffée qu’on essayait de faire tenir à force de gels de sucre et d’eau à force de bras aussi qui remontaient les peignes des pointes à la racine manière de mettre le désordre dans les mèches brunes d’habitude mollement tombantes sous leur propre poids, qu’on s’imagine cette folie toute relative mais folle quand même qui se déroula dans la cuisine familiale peu habituée à ce genre de performance, qu’on s’imagine la suite et l’effondrement de la fragile structure dans une débâcle qui accompagna au diapason toute la soirée, à croire que ce n’était pas le jour pour échanger sa peau sa vie avec celle d’une star, qu’on s’imagine ça et qu’on comprenne qu’il y avait là une sorte de rêve fou et d’absurdité totale dont on n’avait pas le moins conscience, certain alors que c’était par là que se ferait la sortie de la vallée et de la terre aux sillons hauts dont on voulait tant s’échapper sans deviner encore ironie de notre sort à tous qui oublions toujours que nous emportons intégralement partout où nous courons la sorte de valise molle que nous nous sommes) qu’on emmènerait partout où l’on irait cette vallée, certain que c’était par là, donc, en devenant soi-même ce Robert Smith cathodique et médiatique et donc rock-star et donc autre chose qui de là, de la vallée, semblait éminemment enviable, qu’on trouverait un ailleurs habitable où l’on pourrait vivre, qu’on s’imagine ça et cela suffira.
J’ai été Robert Smith – Daniel Bourrion
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hum mais ça m’a l’air bien ça! j’ai hate de lire la chronique que tu en feras!
Très bien ! En plus, ça parle de la Lorraine 🙂
J’aime beaucoup le style, ces longues phrases essoufflées mais si parlantes !!!
Les 60 pages et quelques sont comme ça. Très beau texte !